Le diktat de l'apparence chez le comédien
- Par maxal-dia
- Le 09/07/2020
- Dans Jeu d'acteur
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"Il y avait une actrice qui s'appelait Marylin Monroe. Elle était toujours en retard. Elle ne se souvenait jamais de son texte. C'était une emmerdeuse. Ma tante Millie est une femme charmante. Si elle ferait un film, elle serait toujours à l'heure. Elle connaitrait son texte. Elle serait adorable. Pourquoi tout le monde à Hollywood veut travailler avec Marylin Monroe et personne ne veut travailler avec ma tante Millie ? Parce que personne n'irait voir les films pour regarder ma tante Millie1." Plus que le talent de Marylin Monroe, Billy Wilder insinuait que seul le physique attractif de l'actrice et son aura incitaient le public, majoritairement masculin, à se déplacer en nombre voir ses films. Ne reste de l'actrice, qui a joué avec les plus grands - Clark Gable, Tony Curtis, Laurence Olivier, Montgomery Clift, etc -, qu'une image : celle de la plantureuse blonde sexy et naïve de "Sept ans de réflexion" qui dévoile généreusement ses jambes sur la bouche d'un métro new-yorkais. Ce physique la cantonnait dans un stéréotype de rôle et toute sa vie elle essaya de s'en affranchir, en vain.
Existe-t-il un diktat de rôle imposé par son physique ? Et si oui, peut-on s'en affranchir ?
Les emplois
Se baser sur un physique ne parait pas incongru dans un métier de l'apparence. Votre corps, c'est ce que le public voit d'abord de vous. Au théâtre, un acteur est casé rapidement dans des catégories qu'on appelle "emploi" dont il est difficile de sortir et qui n'est basé que sur le physique et la nature du comédien. Différents types d'emploi existent au théâtre : "l'amoureux", "le barbon", "le confident", "la coquette", "le jeune premier", etc. Je me rappelle une de mes premières profs de théâtre qui me disait que mon emploi était celui de "valet". J'étais alors très mince, plutôt nerveux, très dynamique, un visage irrégulier. Mélodramatiquement être considéré que comme un "valet" sonnait en moi comme une sentence irrévocable, un arrêt brutal de pouvoir jouer les jeunes héros romantiques beaux et charismatiques : j'étais condamné à jouer perpétuellement un Scapin virevoltant ou, pire, les seconds couteaux. Je me frottais déjà, malgré moi, à l'une des nombreuses barrières discriminantes et injustes dont le théâtre et le cinéma regorgeaient.
Mais je ne peux mettre en balance mon expérience discriminatoire face à ceux qui ont à subir plus fortement encore ce rejet : un noir sera plus souvent employé à jouer les vigils, les dealers ou les domestiques (voir l'article autour du film "Tout simplement noir"). A contrario, ce sont aussi nos particularités, nos différences - couplés au travail - qui peuvent nous faire émerger de l'anonymat : Eric Judor et Ramzy Bedia ont écrit des sketchs intitulés "Les Mots" qui les ont fait connaitre en jouant sur leurs origines arabes et leur difficulté à maitriser la langue française. Et si un comédien arrive à sortir du lot, alors c'est le jackpot (!), il pourra dépasser les stéréotypes liés à son physique : Omar Sy s'est bien imposé dans le cinéma français et on lui confie à présent des rôles dont il n'aurait jamais pu rêver avant sa célébrité : il porte par exemple le rôle du docteur Knock au cinéma, un "contre-emploi", incarné il y a plus d'un demi-siècle par Louis Jouvet.
Les contre-emplois
Un "contre-emploi" permet à l'acteur de couper nette l'étiquette imposée et de montrer une autre facette de son talent. Récemment Guillaume Gallienne à joué le rôle-titre de la pièce de Victor Hugo : "Lucrèce Borgia". Les critiques étaient dithyrambiques, le public, venu en nombre, la pièce, un succès. On dépasse ici le cadre de la particularité physique : un homme joue une femme et cette performance est assez rare pour le noter. "[...] [S]e travestir en Lucrèce Borgia l'empoisonneuse, la mère déchirée, c'est une affaire d'une autre trempe. L'histoire des rôles de femmes tenus par des comédiens masculins est aussi ancienne que celle du théâtre. Et les travestissements fleurissent dans les pièces de Shakespeare ou Marivaux. Mais pousser le bouchon aussi loin, on ne l'avait pas vu depuis que Maria Casarès incarna le Roi Lear chez Sobel, ou Christine Fersen, Jean de La Fontaine chez Wilson. [...] Il est, en majesté, un acteur de fer dans une robe de velours. Sa Lucrèce Borgia, [...] est d'une folle évidence si l'on peut dire"2. Un "contre-emploi" apportera automatiquement un regard neuf, une respiration, une étrangeté et une particularité sur un rôle : Daniel Craig en James Bond ne faisait pas l'unanimité ; il ne ressemblait nullement au portrait que l'on se faisait de l'agent 007 : les yeux bleux, blond, baraqué, trop Irlandais et pas assez British, plus félin que racé. Pourtant il a su redonner un second souffle à la saga et imposer son style (voir l'article : "Daniel Craig est le meilleur James Bond de l'histoire").
Mais un "contre-emploi" peut aussi, et c'est le risque, décevoir un public qui n'est tout simplement pas prêt à accueillir l'insolite : j'ai assisté à une représentation de la pièce de Shakespeare "Roméo et Juliette". L'acteur qui jouait Roméo ne correspondait nullement à l'image d'Epinal du héros romantique : la trentaine environ, petite moustache, n'était pas exagérément beau, ni charismatique et était même plutôt banal. "Roméo est un garçon bien faible, bien flottant, mais doit-il être, comme le trapu [sic] Jérémy Lopez, à ce point dépourvu du charisme de la fragilité ?3". Etre embarqué dans une histoire, y croire, quand on est déçu par le choix d'un comédien - d'autant plus pour un rôle aussi emblématique que celui-ci - n'est pas évident. L'imagerie populaire romantique est tenace. Reste à saluer le courage du metteur en scène d'être à contre-courant et d'imposer sa vision envers et contre tous. Et surtout envers les apparences et ses diktats.
Difficile pour un comédien de sortir d'un emploi, d'un physique tant les pressions économiques pèsent sur le cinéma et le théâtre. Cependant, de nos jours, les réalisateurs et les metteurs en scène prennent de plus en plus de risques artistiques (les personnages et les situations sont moins stéréotypés) et un nouveau public, biberonné aux séries et à leurs twists, émerge, prêt à accepter l'improbable, le surprenant. Un tournant ? A suivre...
1-Billy Wilder, réalisateur de "Sept ans de réflexion" et de "Certains l'aime chaud".
2-Tiré de l'article "Quelle femme, ce Gallienne !", L'Obs, juin 2014.
3- Philippe Lançon, tiré de l'article "'Roméo et Juliette', vendetta pas lasse", Libération, janvier 2016
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