De comédien à professeur d'art dramatique
- Par maxal-dia
- Le 14/12/2024
- Dans Jeu d'acteur
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Un jeune comédien, avide d'apprendre et n'ayant aucun lien avec le monde du théâtre - et encore moins avec le cinéma -, peut entrer dans une école d’art dramatique. C’est la meilleure voie pour apprendre son métier, rencontrer ses pareils et au préalable intégrer un milieu qui est, de notoriété publique, fermé. Une école qui lui permettra de s'exprimer pleinement, de se dépasser sous le regard bienveillant et protecteur de personnes chargées de leur transmettre une technique de jeu : les professeurs. Ces personnes hybrides mi-comédien, mi-enseignant, ont toujours fascinés les élèves par leur "aura", leur "charisme" que par leur aptitude et leur passion à partager sur le métier. Mais qu'est-ce qui fait qu'un artiste choisisse tout d'un coup cette voie ? Ce métier n’est-il pas plutôt un succédané au métier de comédien ?
Tout d'abord un professeur d'art dramatique n'aura jamais "échoué" dans son entreprise à devenir comédien. Il l'a été et le reste quoi qu'il en soit. Il peut, demain, vous donner une interprétation acceptable du Bourgeois Gentilhomme, tout comme il peut vous apprendre à jouer. Être professeur n'est qu'une couche de plus. Nous disons professeur, mais c'est bien un comédien qui vous enseigne avec recul son métier. Beaucoup imaginent qu'un comédien qui n'a pas de succès, qui n'est pas connu, est un mauvais comédien ou a échoué à le devenir. Ce qui est faux. Le succès transforme le comédien en une personne à part, une célébrité, une star, un dieu, un monstre sacré. Mais la plupart des comédiens qui ont cette notoriété vous le diront : ils n'ont jamais cherché le succès. Ca leur ai tombé dessus. Le hasard, la chance était là. Cela n'a rien à voir avec un quelconque talent - qui est cependant indispensable s'ils veulent se forger une carrière. Le succès est une anomalie du métier de comédien. Bon nombre de comédiens ne recherche pas à être connu (même si la lumière du succès est aveuglante et miroite une vie rêvée, riche à tout point de vue, sans penser au revers de la médaille, et sa rançon), ils veulent seulement jouer ! Et c'est une façon de penser plutôt saine si l'on ne veut pas tomber en dépression ou pire. Jouer, se perfectionner d'abord et peut-être alors se faire remarquer et avoir du succès. Mais pas l'inverse. Le succès c'est comme l'amour, si on le cherche, il ne vient pas. Abandonnez l'idée du succès.
De plus, le professeur souvent n'a pas été formé par un parcours classique de professeur (capes, etc). Souvent il ne peut se fonder que sur ses propres expériences. Et c'est tant mieux pour les élèves. Un professeur d'art dramatique n'est pas ainsi formaté par une façon d'enseigner et a sa propre spécificité. Et c'est pourquoi il est important pour un élève de connaître avant de rentrer dans un cours, quelle méthode est enseignée, et si cela lui convient ou pas. Le revers de la médaille, est que le professeur n'ait pas les compétences pour enseigner une pédagogie digne de ce nom. Et là c'est une perte d'argent, mais aussi une perte de temps pour les apprentis. Un cours où le "professeur" n'est finalement qu'un metteur en scène qui dirige un groupe d'élèves débutants en leur refilant dès le début un texte de théâtre, est récurrent dans les cours amateurs. L'élève est content, heureux, il joue et l'on vient l'admirer pour ça. Mais peu à peu, l'élève sentira vite qu'il tourne en rond, qu'il ne fait confiance qu'à son instinct de jeu et qu'il n'a pas vraiment de technique pour aller ailleurs dans un rôle. C'est comme jeter quelqu'un dans une piscine sans qu'il sache nager. Peut-être qu'il nagera, boira la tasse souvent, mais n'ira pas bien loin sans une technique appropriée. Cela fait des comédiens qui se croient bons mais ne font que répéter des gestes appris, et caricaturent la vie.
La voie de professeur d'art dramatique est corollée au métier d'acteur. Une personne qui enseigne l'art du jeu, sans être passée par là, n'aura pas forcément les capacités pour comprendre les difficultés d'un élève. N'ayant jamais ressenti elle-même ces difficultés, elle restera un professeur de théorie. L'expérience est importante. Elle permet au professeur de se projeter dans l'élève, de voir en lui ses propres difficultés et lui transmettre les clefs qui lui ont permis de s’en détacher. Et c'est parce que le comédien a vécu ces expériences qu'il peut se dire professeur. Il comprend, il sait, il peut transmettre. Devenir professeur d'art dramatique est une belle étape dans la vie d'un comédien. Il abandonne pour un temps son masque d'acteur pour le partager avec d'autres. C'est une preuve de recul sur son métier, preuve de maturité aussi. Mais alors qu'est-ce qui pousse un comédien, ayant du succès ou pas, a endosser le manteau un peu large de l'enseignant ?
Il faut savoir qu'un acteur exerce un métier ardu, ingrat par moment, difficile. Un acteur doit avoir un mental d'acier pour supporter souvent les critiques, les vacheries des personnes qui vous entourent, des metteurs en scènes, sans oublier l'auto-critique désastreuse pour le jeu (je suis nul, je ne vaux rien, je ne sens rien...). Un acteur devrait se considérer comme un sportif de haut niveau : avoir une vie saine, bien s’entourer et être accompagné régulièrement par un psychologue, tout du moins un coach mental qui l'aiderait dans les étapes importantes de sa carrière. Sans oublier de porter un regard léger sur la vie. Eviter le perfectionnisme de toutes les façons possibles : que ce soit dans son apparence physique que dans le jeu. Un acteur est égocentrique, intrinsèquement son instrument c'est lui-même : il doit faire attention à soi, son corps, sa voix. Mais lorsque l'acteur est trop tendu vers quelque chose de parfait - et donc en soi inatteignable, impossible - comme d’être tous les jours au top de sa forme, avoir une diction impeccable, être proche de ses émotions, ce perfectionnement devient, à la longue, éreintant et surtout inutile. Bien sûr, il faut une discipline de vie, travailler pour s'améliorer mais toujours avec bienveillance, sans douleur morale, sans en faire une maladie. Car en plus d'être malheureux le comédien en oublie de vivre tellement son but de jouer et de décrocher des rôles, l’aveugle, lui met des œillères. Et un comédien qui doit prendre dans la vie le suc pour son jeu, s'il ne vit, n'est rien moins qu'un spectre qui poursuit une chimère, un rêve, un fantasme, qui n'est plus dans la vie, mais dans l'attente de la vie, l'attente d'un rôle, avec toutes les restrictions imposées (physiques et morales).
Par bien des côtés, professer aide le comédien à se sortir de cet état d'esprit, que je qualifierai de compétition. Une grande bouffée d'air frais entre dans la vie étriquée de l'acteur habitué à ne s'intéresser qu'à lui. Il lui donne enfin un cadre - son atelier - et un sens à une vie tournée jusque-là que sur lui-même : il donne aux autres. C'est très biblique c'est vrai, mais il n'y a pas d’autre explication plus juste. Le plaisir de professer vient que le comédien s'oublie enfin pour donner aux autres. Non seulement le fait de ne plus chercher à être dans la lumière lui donne l'autorisation d'être enfin lui-même (j'entends par là à ne pas chercher à tout prix à "s'améliorer" mais juste à « être »), lui permet de prendre du recul, sereinement de se mettre sur pause, de souffler un peu, mais aussi à penser son métier comme un passage de relais.
Dans tout métier artisanal il arrive à un moment où le Maître cherche son successeur. Et l'on peut considérer l'art théâtral comme artisanal. C'est le passage du maître à son élève, tout comme l'artisan qui transmet le geste ancestral, l'enseignant/artisan transmet en quelque sorte le secret de fabrication. Le comédien fabrique la vie, un rôle puis, plus tard, s'il le souhaite, devenu professeur, produit l'acteur. Et le cycle continue. Un métier artisanal, avec pour matière première un corps, une voix, des émotions. D’une matière brute, il en fait une matière précieuse. Il la polie, lui donne l'éclat, le brillant nécessaire, qui est déjà présent en elle pour la révéler et la faire surgir au regard de tous. C'est le travail de l'artisan/artiste/enseignant, tous trois imbriqués en une seule personne.
L'on pourrait penser au premier abord, qu'un professeur d'art dramatique est une personne aigrie qui n'a pas réussie à vivre de son métier de comédien et s'est lancée par dépit dans l'enseignement. C'est bien sûr une vision étroite, indigne et abjecte du métier. Être professeur est bien plus ; il doit avoir le métier chevillé au corps pour pouvoir transmettre aux aspirants comédiens. Il professe, il transmet mais continue d'apprendre par l'élève-apprenti qui éclaircit sa vision, le fait évoluer, bouscule ses idées. Une transmission constructive pour l'apprenti comme pour l'artisan, ne serait-ce pas ça le secret d’un enseignement idéal ?
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