Déjouer les clichés
- Par maxal-dia
- Le 29/10/2021
- Dans Jeu d'acteur
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Les films de Western du début du XXème siècle regorgent de clichés concernant les indiens. Ils y sont tous des tueurs sanguinaires, des sauvages qui scalpent et tuent sans remord les pauvres blancs qui tentent de faire fortune sur cette bonne vieille terre américaine. Et il aura fallu près d'un demi siècle avec notamment le film "Les Cheyennes" de John Ford (1964) jusque dans les années 90 avec "Danse avec les loups" de Kevin Costner, pour que les Indiens soient considérés autrement que comme des diables rouges. Le cliché est l'ennemi du vrai. Interpréter un personnage de manière stéréotypée, c'est interpréter faussement, superficiellement, sans profondeur. L'acteur imite, surjoue mais en aucun cas ne rend justice à son personnage. Comment alors interpréter un rôle sans sombrer dans la caricature, la facilité ? Et en quoi jouer "cliché" est-ce mal ? L'acteur doit-il à tout prix s'en éloigner ? Et jusqu'à quel point ?
Jouer "logique"
"L'Avare" de Molière a été joué de nombreuses fois depuis sa création en 1668 et beaucoup d'acteurs s'y sont frottés avec plus ou moins de réussite. En 2009, Catherine Hiegel le met en scène à la Comédie Française avec dans le rôle-titre Denis Podalydès. Il y joue un Harpagon physiquement amaigri mais énergique. La recherche du comédien sur l'avarice induit son comportement et toute son interprétation : "Corps mince, à la limite de la maigreur, costume noir étriqué et vieux-jeu en un siècle de fanfreluches, l’avarice est d’abord une manière d’être du corps, une démarche, un rythme. Mi-rapace mi-insecte : il y a du vampire expressionniste chez cet avare (Max Schreck, le Nosferatu de Murnau) ; les yeux, dont le maquillage souligne la lueur maligne, sont mobiles, Harpagon sautille sans cesse sur la pointe des pieds. Rapide, fourbe et hypocrite, il ne sait que calculer. Aux aguets, s’alarmant d’une ombre, il tend l’oreille, les muscles tendus, toujours prêt à bondir. Obsédé par une seule crainte : qu’on lui dérobe son précieux trésor "1
Eviter le cliché c'est jouer "logique" en quelque sorte ; c'est creuser, approfondir les caractéristiques du personnage, lui donner des félures, l'humaniser, le rendre palpable et proche de nous. Cependant a trop vouloir s'éloigner du cliché et trouver des raisons à tout, ne va-t-on pas dans l'excès inverse, quitte à dénaturer l'essence même du personnage ?
Céder à l'originalité
Il faut nécessairement un juste milieu entre le cliché, qui est d'adopter les attributs extérieurs du personnage, et une interprétation riche mais trop au-delà du personnage.
La pièce "Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand (1897) a été représenté en 2018 dans une mise en scène de Michèle Deslauriers2 avec un Cyrano "beau" qui s'imagine avoir un nez trop long : son nez est d'une dimension tout à fait normale mais il complexe dessus. Or si on enlève cette caractéristique physique du personnage, c'est toute la pièce qui est changée : la tirade du nez n'a plus aucun sens et il n'y a plus cette ambivalence entre le beau et le laid qui se joue entre lui et Christian de Neuvillette, son rival en amour, aussi beau que bête. Ce nez protubérant ne peut-être le fruit de l'imagination de Cyrano. L'idée semble intéressante cependant, et l'on peut louer la réflexion, mais on se rend compte assez vite que jouer un Cyrano "beau" tient difficilement la route.
C'est une chose de vouloir moderniser une pièce mais il faut arriver à le faire sans que cela porte préjudice au sens profond de celle-ci. Aller dans l'excès inverse du cliché pour de mauvaises raisons comme céder à l'originalité ou à la modernité, échapper au conventionnel et à l'anti-conformisme, font que l'interprétation ennuie tout autant qu'une interprétation facile et fénéante. Mais si le cliché est à éviter absolument, cette parodie de jeu peut-elle cependant être utilisée si elle est assumée ?
Le cliché assumé
Aujourd'hui, il est difficile pour un acteur d'ignorer toute la complexité qu'un rôle requiert s'il veut donner une interprétation juste. Cependant, le cliché peut-être utilisé intelligemment. Nous avons tous en tête la franchise "OSS 117" (réal: Michel Hazanavicius (2006 et 2009) et Nicolas Bedos (2021)) avec Jean Dujardin dans le rôle d'Hubert Bonnisseur de La Bath, un agent des services secrets français des années 60. Ce personnage est le stéréotype même de l'espion : sourire ravageur, beau gosse, sûr de lui et de son "sex-appeal", un agent courageux mais pas très fute-fute, qui se tire toujours de situations inextricables. Un personnage ressemblant à son homologue américain, James Bond, mais beaucoup plus "franchouillard" en phase avec tous les stéréotypes liés à cette époque, celle des années 60 avec son lot de racisme, de sexisme et de mysoginie. Le cliché devient salvateur, il dénonce tout en faisant sourire.
Une seule façon de déjouer un cliché et de construire un personnage non stéréotypé c'est d'essayer de rendre sien le personnage, de se fondre en lui et de le comprendre. Les traits de caractère et de comportement devront être décortiqués pour leur donner une existence réelle, logique, de cause à effet. Mais aller dans l'excès inverse, et construire son personnage en essayant d'être original, anticonformiste, peut nuire à l'essence de celui-ci. Il faut jongler entre le "pas assez" et le "beaucoup trop". Néanmoins le cliché peut être aussi moteur pour dénoncer une culture, une société ou toute une époque. Le cliché devient révélateur de nos travers et a ainsi vocation à détourner les codes. Le personnage s'autoparodie alors et devient une caricature propice aux clins d'oeil notamment au jeu outré des acteurs du début du XXème siècle3.
1 - France TV - 3 avril 2020 - Christophe Kechroud-Gibassier
2 - "Cyrano et le complexe de la laideur" de Michèle Deslauriers - 29/10/2018 Nordinfo.com
3 - Voir "Sacré Robin des bois" de Mel Brooks (1993) ou "Les Aventures de Philibert, capitaine puceau" de Sylvain Fusée (2011) où les acteurs parodient Errol Flynn, acteur des années 30, célèbre pour son rôle de Robin des bois dans "Les Aventures de Robin des Bois" de Michael Curtiz et William Keighley (1938). Voir aussi "Il était une fois" (Kevin Lima - 2007) avec Amy Adams qui joue une princesse Disney, avec tous ses stéréotypes et qui peu à peu s'humanise.
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